Les plateformes de partage de pièces 3D et la réparation

24 avril 2025

Il existe de très nombreuses plateformes de partage ou de revente de modèles 3D destinés à être imprimés. Ces plateformes pourraient, à priori, permettre de grandement faciliter le processus de réparation à l'aide de l'impression 3D. Mais qu'en est-il vraiment?

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Cet article a été rédigé dans le cadre du projet RE.FAB TOUR, financé par la Région Wallonne. Nous vous proposerons régulièrement des articles liés à l’impression 3D pour la réparation. Retrouvez ici toute la série, ainsi que des ressources aller plus loin et pour se former !

Comme nous l’avons vu dans cette série d’articles, et sans en occulter ses limites, l’impression 3D peut être utile pour la réparation, notamment pour dépasser les difficultés d’accès aux pièces détachées.

Pour augmenter le nombre d’objets pouvant être réparés en 3D, un des principaux enjeux consiste à faciliter l’accès aux modèles 3D. En effet, la conception ou reconception de pièces cassées nécessite temps, compétences, expertise, et matériel, et se trouve être l’élément limitant pour bien des réparations. Pour partager un modèle 3D, deux solutions peuvent être envisagées : les plateformes « officielles », ou les plateformes collaboratives.

La solution actuelle : les plateformes collaboratives

Il existe une communauté en ligne assez active en ce qui concerne le partage de modèles 3D. Vous trouverez ci-dessous une liste des principaux sites internet sur lesquels on peut télécharger des modèles 3D pour réparer des objets. La plupart des pièces qu’on y trouve sont téléchargeables gratuitement, et partagées sous des licences Creatives Commons. D’autres peuvent aussi être payantes, et il faut alors débourser quelques euros pour accéder à la pièce.

Ces plateformes rassemblent un nombre impressionnant de pièces conçues et partagées par des utilisateurs et utilisatrices du monde entier, et aussi, de plus en plus, par des systèmes (semi-)automatisés de générations de modèles 3D. Évidemment, seul un petit nombre de ces pièces à trait à la réparation. Sur ces plateformes, on retrouve énormément de gadgets, de pièces décoratives, de figurines, de jeux ou jouets, de démonstrateurs de mécanismes, ou encore de nombreux systèmes de rangements domestiques.

Heureusement, les pièces de réparations ne sont pas exclues de ces plateformes. Utiliser les mots-clés repair ou spare-parts permet d’en retrouver un grand nombre. De la même manière, en tapant le nom de son aspirateur dont la gâchette est cassée, on a de bonnes chances de retrouver la pièce s’il s’agit d’un problème courant! Voici par exemple les catégories principales de modèles 3D pour la réparation que l’on retrouve sur la plateforme Thingiverse :

En plus des ces pièces de rechange, on y retrouve également une multitude d’outils permettant de démonter, déclipser, ou rassembler des objets à réparer, ainsi que certains composants standard, tels que des connecteurs ou gros écrous.

Les limites et perspectives des plateformes collaboratives

Jusqu’ici, cela a l’air idéal : des pièces en libre accès permettant de réaliser des réparations pour lesquelles il n’y aurait pas d’alternative !

Oui mais… En plus des limites habituelles de l’impression 3D pour la réparation, on peut citer les limites suivantes, spécifiques aux pièce que l’on retrouve sur ces plateformes :

  1. On ne sait pas à priori si la pièce que l’on cherche existe, et la retrouver peut prendre du temps : il y a plusieurs plateforme, sur lesquelles il n’est pas toujours facile de s’y retrouver, et il faut trouver les bons mot-clés, souvent  en anglais, pour avoir une chance d’aboutir à la pièce recherchée !
  2. Le choix est très limité comparé au nombre de pièces susceptibles de casser dans nos appareils. Seules les pièces très communes d’appareils  récents, populaires, et pour des pannes fréquentes et connues se retrouveront sur ces plateformes. Hors, les objets que l’on veut réparer ont parfois servi pendant des dizaines d’années, avant qu’une pièce en plastique trop usée ne finisse par lâcher.
  3. La pièce existante est souvent une copie pure de la pièce à remplacer. Mais re-concevoir n’est pas recopier ! Une pièce pensée pour la réparation à l’impression 3D doit presque toujours être modifiée et ajustée, afin de permettre l’impression (en évitant certaines géométries peu pratiques voire impossibles à imprimer), de limiter le temps d’impression, et surtout de la renforcer là où nécessaire. En effet, par rapport à la pièce d’origine, on utilise un autre matériau, une autre méthode de fabrication, et si la pièce a cassé, c’est peut-être qu’elle avait une faiblesse !
  4. Il ne s’agit pas de modèles 3D officiels diffusés par le fabricant, mais bien de modèles 3D dessinés par des personnes plus ou moins expérimentées, la qualité varie fortement d’un modèle à l’autre.
  5. La qualité de la pièce est parfois douteuse, comme dans le cas d’une pièce qui aurait été (mal) scannée, et qui, même si elle a l’air correcte à première vue, ne respecte pas les dimensions de la pièce d’origine.
  6. Les pièces que l’on peut télécharger sont souvent au format .stl, c’est-à-dire non modifiable. Or, on aura souvent besoin d’ajuster une dimension ou d’élargir un trou dans la pièce, ou même d’améliorer la pièce après un premier essai de réparation !

Bref, même si le bon réflexe est de passer quelques minutes à regarder sur ces plateformes si la pièce à réparer s’y retrouve, difficile de compter uniquement dessus ! Les réparateurs et réparatrices utilisant l’impression 3D repartent souvent de zéro pour reconcevoir la pièce à leur manière, afin d’être certain·e d’obtenir la pièce désirée, et d’éviter de perdre du temps dans une recherche potentiellement infructueuse.

La solution de demain (?) : les plateformes officielles

Si les plateformes collaboratives montrent encore certaines limites, les fabricants ont de nombreuses cartes en main pour faciliter la réparation à l’aide de l’impression 3D.

Le groupe Seb, par exemple, a pendant tout un temps mis à disposition une série de pièces à imprimer en libre accès via sa plateforme Happy 3D. Si l’initiative était louable, car permettant à tout le monde d’avoir accès à des modèles 3D originaux, la plateforme est désactivée depuis quelques années. D’autres fabricants et distributeurs envisagent des initiatives similaires, parfois en partageant des modèles sur demande. Mais, entre les questions de propriété intellectuelle, de contrôle qualité, et de responsabilité en cas de problème, le modèle se cherche encore, et il existe aujourd’hui peu de solutions concrètes à ce niveau.

L’autre approche, que l’on commence à voir apparaître, et qui nous semble bien plus prometteuse, est d’intégrer la possibilité de réparer à l’aide de l’impression 3D dans la conception et le modèle économique. Citons ici Mekanika, qui produit des machines en open-source, ou le mixer re.mix, dont le partage des fichiers 3D fait partie du modèle économique. Ces nouveaux modèles ont un beau potentiel, mais restent encore assez confidentielles aujourd’hui.

Quelles autres pistes?

Entre ces ces plateformes collaboratives et les plateformes officielles, il reste donc de nombreux obstacles et difficultés à lever pour réellement faciliter l’accès aux modèles 3D de pièces détachées pour la réparation. On rêve encore d’une plateforme dédiée à la réparation, avec des pièces labellisées et vérifiées, partagées en libre accès. Il y a de la place pour de telles solutions, mais elles nécessiteront de déployer beaucoup de créativité ! D’autant plus, malgré des discussions en cours au niveau européen, il existe un certain flou juridique concernant la diffusion de modèles 3D soumis à de la protection de propriété intellectuelle du fabricant. Si l’on est protégé pour une utilisation privée et non commerciale, c’est un élément à ne pas négliger dans le cadre de ces plateformes.

Enfin, il est important de rappeler encore une fois que l’impression 3D de pièces détachées par des particuliers n’est pas une solution structurelle. Cela permet de faire des réparations pour lesquelles il n’y aurait pas d’alternative, par exemple si la pièce détachée est inexistante. Mais l’impression 3D en Fablab ou en Repair Café ne résoudra jamais la problématique de l’accès aux pièces de rechanges ! Il ne faudrait pas que l’émergence, encore assez anecdotique, de cette technique, serve de prétexte à l’arrêt de la production pièces détachées.

Que retenir?

En conclusion, si de plus en plus de solutions d’accès aux modèles 3D existent aujourd’hui, aucune d’entre elles ne satisfait pleinement les besoins des réparateurs et réparatrices citoyen·ne·s. Avoir quelques compétences en modélisation 3D, ce qui peut représenter une fameuse marche, reste encore inévitable pour réparer à l’aide de l’impression 3D. En tant que réparateur·ice, il est aussi important de partager ses pièces réalisées à titre privé et  dans le cadre d’un usage non commercial (par exemple en Repair Café) sur les plateformes collaboratives évoquées dans cet article, afin de renforcer ces banques de modèles 3D avec des pièces de qualités, et de permettre toujours plus de réparations !

 

Article rédigé par Repair Together avec la contribution bénévole de Pierre Bialas