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Analyse de la directive adoptée sur les règles communes favorisant la réparation de biens

18 mars 2024

La campagne de l'UE porte ses fruits avec de nouvelles règles prometteuses en matière de réparation, mais il faut que beaucoup plus de produits soient couverts.

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Article original en anglais par Right to Repair Europe – Cristina Ganapini

 

Après des années d’intenses campagnes menées par les défenseurs du droit à la réparation, les législateurs européens se sont enfin mis d’accord sur de nouvelles règles en matière de réparation (1). La coalition Right to Repair Europe, qui représente plus de 140 organisations dans 24 pays européens, se réjouit que la nouvelle loi ouvre la voie à un meilleur accès à des réparations abordables pour certains produits. Nous saluons les règles relatives aux prix raisonnables des pièces d’origine ainsi que l’interdiction des pratiques logicielles qui empêchent les réparations indépendantes et l’utilisation de pièces détachées compatibles et réutilisées. Il s’agit d’un pas dans la bonne direction pour une réparation abordable.

Cependant, nous devons noter qu’avec l’adoption de la loi, une chance majeure est manquée de créer un marché de la réparation véritablement équitable en Europe et de garantir des solutions de réparation abordables pour la majorité des produits sur le marché européen. Nous regrettons que le champ des produits couverts reste très étroit et que de nombreuses failles aient été introduites. Nous appelons à une mise en œuvre rapide de ces règles, y compris des lignes directrices de la Commission sur la définition de prix « raisonnables » pour les pièces détachées, une exécution solide de l’interdiction des pratiques anti-réparation et l’introduction d’incitations financières nationales pour la réparation par les États membres de l’UE.

Les pays de l’UE auront deux ans pour intégrer cette directive dans leur législation nationale.

Nous demandons instamment à la prochaine Commission européenne (après les élections européennes de juin 2024) de continuer à travailler sur des actes juridiques fixant des exigences de réparabilité(2) pour des catégories de produits supplémentaires afin d’étendre rapidement le champ d’application de ces nouvelles règles de réparation.

 

1. Un meilleur accès à la réparation pour une sélection de produits
Les nouvelles règles viseront à améliorer l’accès des consommateurs européens à la réparation pour une sélection de produits. Le champ d’application est limité aux biens achetés par les consommateurs (ni les biens interentreprises ni les biens industriels ne sont couverts) et aux produits déjà couverts par des exigences de réparabilité en vertu de la législation de l’UE. Actuellement, il s’agit des lave-linge, sèche-linge, lave-vaisselle, réfrigérateurs, téléviseurs, soudeuses, aspirateurs, serveurs, téléphones, tablettes et batteries de moyens de transport légers (tels que les vélos et scooters électriques). Le champ d’application sera automatiquement élargi par la Commission européenne dans les 12 mois suivant l’adoption de tout nouvel acte juridique fixant des exigences en matière de réparabilité (c’est-à-dire ne se limitant pas à l’écoconception).

1.a. Obligation pour les fabricants de réparer au-delà de la période de garantie légale
Nous nous félicitons que les producteurs soient pour la première fois tenus de proposer des options de réparation au-delà de la période de garantie légale de deux ans, pour une durée pouvant aller jusqu’à 10 ans en fonction du produit. Ces réparations devront être effectuées par les producteurs (ou par l’intermédiaire de leurs sous-traitants) gratuitement ou à un « prix raisonnable ». Les consommateurs pourront se voir proposer un produit de remplacement pendant la période de réparation.

1.b. Un accès plus équitable aux pièces détachées pour les réparateurs indépendants
Nous saluons le fait que les pièces détachées et les outils (dans la mesure où ils sont disponibles conformément à d’autres exigences législatives) doivent être vendus aux réparateurs indépendants « à un prix raisonnable qui ne décourage pas la réparation ». Malgré nos demandes, les règles ne fournissent aucune indication sur ce que signifie un prix « raisonnable » pour les pièces. La Commission européenne devrait élaborer des lignes directrices sur la signification précise des prix appropriés des pièces détachées afin de faciliter la mise en œuvre de cette exigence pour tous les acteurs concernés. Sinon, nous devrons attendre que les tribunaux nationaux établissent sa définition par le biais d’affaires juridiques. Il sera essentiel que le mouvement de la réparation, y compris les organisations de consommateurs et le secteur de la réparation indépendante, s’empare de cet outil juridique et poursuive en justice les fabricants qui vendent des pièces détachées à des prix déraisonnablement élevés. Vous pouvez consulter le travail de R2R sur les prix des pièces détachées en anglais ici. En bref : la plupart des gens n’envisagent une réparation que si le coût total de la réparation est inférieur à 30-40 % de la valeur du produit (3). Étant donné que le coût d’une réparation donnée se compose généralement du coût de la main-d’œuvre et du coût des pièces détachées (en supposant qu’il n’y ait pas de frais de transport pour le réparateur), pour que la réparation reste en dessous du seuil critique, il est raisonnable d’estimer que le prix des pièces détachées doit rester inférieur à 15-20 % du prix du produit (4). Malheureusement, la loi actuelle n’offre pas non plus un accès plus large à davantage d’informations sur les réparations et à davantage de pièces détachées.
Nous nous réjouissons en outre de l’interdiction des « clauses contractuelles et des techniques matérielles ou logicielles qui entravent la réparation » pour les produits concernés. Notre campagne a travaillé sans relâche pour attirer l’attention des décideurs politiques sur ces pratiques déloyales.
Cependant, il reste à voir dans quelle mesure les lacunes persisteront, car le texte ajoute à l’interdiction la vague exemption suivante : « à moins qu’elle ne soit justifiée par des facteurs légitimes et objectifs, y compris la protection des droits de propriété intellectuelle en vertu des actes juridiques de l’Union et des États membres ». Cette exemption est très floue et laisse la porte ouverte aux fabricants pour qu’ils continuent à mettre en œuvre des pratiques anti-réparation déloyales, en déclarant simplement qu’elles sont « légitimes ».

 

2. Amélioration de l’attrait de la réparation dans le cadre de la garantie légale
Afin d’améliorer l’attrait de la réparation (par rapport au remplacement) dans le cadre de la garantie légale, nous nous félicitons que la garantie soit prolongée de 12 mois si les consommateurs optent pour la réparation. Au total, la garantie légale sera donc de trois ans dans la plupart des pays de l’UE, alors qu’elle ne sera pas prolongée si les consommateurs optent pour le remplacement. Les vendeurs seront tenus d’informer les consommateurs du choix entre la réparation et le remplacement et de l’extension de la garantie en cas de réparation. Les biens remis à neuf peuvent être fournis en remplacement à la demande expresse du consommateur.

 

3. Un pas de plus vers des incitations financières nationales à la réparation – mais il reste encore à faire
Le législateur européen exige également des États membres qu’ils mettent en œuvre au moins une mesure nationale en faveur de la réparation. Ils proposent une liste non contraignante (5) d’options financières et non financières telles que le soutien aux initiatives de réparation menées par les communautés ou les campagnes d’information. Parmi les mesures financières, les législateurs européens proposent de financer des programmes de formation permettant d’acquérir des compétences spécifiques en matière de réparation ou des chèques/fonds nationaux de réparation. Ces derniers ont déjà fait leurs preuves en tant que stratégie viable pour rendre les réparations plus abordables et créer des emplois locaux en Autriche, en Allemagne et en France.

Les législateurs européens rappellent également (6) aux autorités nationales que le cadre de l’UE permet déjà aux États membres d’appliquer une taxe sur la valeur ajoutée (TVA) réduite sur les services de réparation d’appareils ménagers, de chaussures et d’articles en cuir, de vêtements et de linge de maison. Malgré cela, à ce jour, seuls 7 Etats membres ont expérimenté la TVA réduite pour les services de réparation.

Il va sans dire qu’au cours des deux années de transposition de cette directive dans les législations nationales, il sera crucial pour le mouvement du droit à la réparation de maintenir l’élan grâce à des campagnes nationales et au partage des connaissances sur les initiatives nationales réussies. D’après les données que nous avons recueillies jusqu’à présent, il est essentiel que des incitations financières à la réparation soient introduites dans tous les pays.

 

4. Plate-forme de mise en relation en ligne et formulaire de réparation européen
La Commission européenne mettra en place une plateforme européenne en ligne répertoriant les solutions de réparation et de rachat dans les États membres et les estimations de coûts harmonisées, dans le but d’accroître la visibilité des options de réparation et la transparence de leurs coûts.

À la demande des consommateurs, les réparateurs pourront choisir de soumettre un devis harmonisé appelé « formulaire européen d’information sur la réparation », comprenant des informations contraignantes telles que le type de réparation proposé et son prix ou, si le coût précis ne peut être calculé, la méthode de calcul applicable et le prix maximum de la réparation.

S’il est généralement bon d’accroître la visibilité des services de réparation et de permettre aux consommateurs de trouver plus facilement des prestataires de services adéquats, cela ne sera efficace que s’il existe une infrastructure de réparation adéquate, également visible sur la plateforme. La couverture généralisée des prestataires de services de réparation en Europe ne sera possible qu’en améliorant les conditions pour les réparateurs indépendants, c’est-à-dire en mettant en œuvre les aspects susmentionnés de la directive relatifs aux prix raisonnables des pièces détachées et à l’interdiction du blocage des logiciels, et en créant un marché de la réparation équitable.

 

5. Opportunités manquées

Compte tenu de la portée et de l’ambition limitées, nous pensons que l’occasion a été manquée de faire de cette initiative quelque chose qui mériterait réellement le titre de « directive sur le droit à la réparation ». Dans l’état actuel des choses, ce règlement pourrait être décrit plus justement comme une « annexe aux règlements existants en matière d’écoconception ». En substance, son principal effet sera d’augmenter quelque peu les chances que le petit nombre de produits qui, de toute façon, devaient déjà être réparables en vertu de la loi, finissent par être réparés.

Étant donné qu’elle ne s’applique pas, et ne s’appliquera pas dans un avenir prévisible, à la grande majorité des produits à courte durée de vie qui inondent le marché de l’UE(7), il serait très optimiste d’espérer que ces mesures auront un impact sur l’utilisation des ressources et la production de déchets électroniques.

La liste des occasions manquées est longue. Par exemple, pour que la garantie prolonge réellement la durée de vie des produits, nous avions suggéré d’accorder une priorité obligatoire à la réparation plutôt qu’au remplacement dans le cadre de la garantie et de renforcer le secteur de la réparation indépendante en l’autorisant à effectuer des réparations dans le cadre de la garantie. Bien que la priorité à la réparation plutôt qu’au remplacement dans le cadre de la garantie légale ait été incluse dans la proposition initiale de la Commission, elle n’a pas franchi l’étape des négociations, et notre proposition visant à ce que les réparations dans le cadre de la garantie soient effectuées par des réparateurs indépendants n’a pas non plus été retenue.

Il existe également de nombreuses dispositions ambitieuses sur lesquelles le Parlement s’était mis d’accord après de longues négociations internes, mais qui ont été rejetées au profit de la position nettement moins ambitieuse du Conseil au cours des trilogues :

– Le droit pour le consommateur d’introduire une demande de garantie directement auprès du producteur ;

– Le droit pour le consommateur de choisir que le producteur répare un bien qui n’est pas conforme, les clauses d’une garantie commerciale qui découragent le consommateur de faire usage de ce droit étant nulles et non avenues ;

– Le droit pour le consommateur de faire réparer un produit à moins que cela ne soit factuellement ou légalement impossible (le producteur n’étant pas autorisé à refuser la demande du consommateur pour des raisons purement économiques telles que les coûts) ;

– Le droit pour les réparateurs indépendants, les entreprises de remise à neuf, les reconditionneurs et les utilisateurs finaux d’avoir accès à toutes les pièces détachées et à toutes les informations et outils liés à la réparation, y compris les outils de diagnostic, pendant une période correspondant au moins à la durée de vie prévue du produit ;

– L’obligation pour les producteurs de publier toutes les informations relatives à la réparation (telles que les prix de réparation et les prix des pièces détachées) sur leurs sites web ;

– La possibilité pour les législateurs d’ajouter des produits à la liste même s’ils ne sont pas couverts par l’écoconception ou d’autres exigences.

Nous trouvons tout à fait regrettable qu’en fin de compte, la voix de nos représentants démocratiquement élus n’ait pas prévalu. Notre coalition continuera à réclamer des exigences ambitieuses en matière de réparabilité pour le plus grand nombre possible de catégories de produits, et à travailler avec les membres chargés de la mise en œuvre de la directive dans chaque État membre, afin de s’assurer que cette législation et d’autres font réellement la différence pour les consommateurs européens et pour la prévention des déchets électroniques.

 

Contact: Cristina Ganapini, coordinatrice de la coalition Right To Repair Europe. Email: info@repair.eu

 

Notes:

(1) texte légal de la directive
(2) Les législateurs européens se sont également mis d’accord sur un nouveau règlement européen relatif à l’écoconception des produits durables (ESPR). Ce règlement-cadre permettra à la Commission européenne de fixer des exigences minimales en matière de réparabilité pour d’autres catégories de produits. Notre coalition a réussi à placer les produits liés à l’énergie, les produits TIC et d’autres produits électroniques parmi leurs prochaines priorités.
(3) Deloitte a cité 30 % pour les consommateurs français et 30 à 40 % pour les consommateurs suédois (présentation de l’atelier d’experts vers une réparation accrue des EEE ménagers (Bruxelles, 2017), p. 48-49). Il s’agit peut-être d’une estimation élevée : selon Sahra Svensson-Hoglund ea, Barriers, enablers and market governance : A review of the policy landscape for repair of consumer electronics in the EU and the U.S. (2021), « généralement, la volonté de payer pour la réparation de petits appareils électroniques a été estimée à 20 % du coût de remplacement » (p. 6, citant McCollough (2007)). Voir également l’étude comportementale de la Commission européenne sur l’engagement des consommateurs dans l’économie circulaire (octobre 2018).
(4) Ce seuil est proposé dans Florent Curel e.a., Guide pratique : Rendre la réparation accessible (Club de la durabilité, 2023), p. 4.
(5) Les mesures prises par les États membres pour promouvoir la réparation peuvent inclure des campagnes d’information, un soutien aux initiatives de réparation menées par les communautés, des bons de réparation, des fonds de réparation, le soutien ou la création de plateformes de réparation locales ou régionales, l’organisation ou le financement de programmes de formation permettant d’acquérir des compétences particulières en matière de réparation et des mesures fiscales.
(6) Le ministre français Christophe Béchu plaide déjà en faveur d’une baisse des taux de TVA et affirme que cette mesure pourrait faire rentrer plusieurs milliards d’euros dans les caisses de l’État.
(7) Pour ne citer que quelques catégories de produits électriques et électroniques non couverts : les appareils tels que les chauffages, les chauffe-eau, les climatiseurs et les ventilateurs ; les systèmes domestiques tels que l’éclairage, les systèmes d’énergie solaire, la domotique, les routeurs et les systèmes de sécurité ; les petits appareils ménagers et de cuisine tels que les fers à repasser, les machines à café, les bouilloires, les grille-pain, les friteuses, les grils, les centrifugeuses, les mixeurs et les batteurs ; les produits de divertissement tels que les décodeurs, les consoles de jeux, les lecteurs électroniques, les jouets et les drones ; les produits musicaux tels que les lecteurs de médias numériques, les écouteurs, les oreillettes, les haut-parleurs et les amplificateurs ; les produits d’hygiène personnelle tels que les sèche-cheveux, les brosses à dents électriques, les rasoirs, les tondeuses et les épilateurs ; les produits de bricolage tels que les perceuses, les scies et les ponceuses ; les outils de jardinage tels que les tondeuses à gazon, les taille-haies, les tronçonneuses et les déchiqueteuses. Et malheureusement, la liste est encore longue.